TotalEnergies (anciennement connu sous le nom d’Elf, puis de Total) était conscient des effets néfastes du réchauffement climatique dus à la combustion de combustibles fossiles depuis 1971 et s’est activement engagé dans une campagne sophistiquée de déni de la science climatique selon une recherche publiée mercredi dans le journal Global Environmental Change. La connaissance que Total avait du risque climatique n’était en rien différente de celle qui émanait des publications scientifiques de l’époque. Mais au lieu de prendre les mesures nécessaires, le géant pétrolier a délibérément choisi son profit plutôt que la vie des gens, en nous faisant perdre du temps et en confisquant notre avenir.

Cette connaissance de Total sur le changement climatique n’a pas empêché la septième compagnie pétrolière et gazière la mieux rémunérée de passer près de cinq décennies à refuser de reconnaître publiquement les impacts de ses opérations et des émissions induites sur le changement climatique. Au lieu de cela, l’entreprise a dissimulé la vérité, financé la désinformation, menti à ses actionnaires et au public, se présentant comme le leader mondial de la transition énergétique. Clairement, Total aujourd’hui, comme Exxon, Shell et d’autres gros poissons du grand club pétrolier hier, étaient conscients que leurs produits ne resteraient pas rentables une fois que le monde aura compris les risques liés à leurs opérations. Elle a donc recruté des consultants talentueux pour développer des stratégies de communication ou plutôt de mensonge destinées au public et à leurs actionnaires. Ils ont orchestré des campagnes de manipulation, de propagande et des tactiques sophistiquées de greenwashing pour maintenir une bonne réputation dans la lutte contre le changement climatique.

Un acteur clé et influent sur le continent

A la suite de la découverte de réserves pétrolières en Afrique du Nord et dans le Golfe de Guinee, Total à travers son ancêtre Elf prend une position centrale dans l’exploration pétrolière afin d’assurer une couverture des besoins énergétiques de l’Hexagone. 

A travers des contrats opaques, le soutien des régimes autoritaires du Cameroun à l’Angola en passant par le Gabon et le Congo-Brazzaville, Total a longtemps fait la pluie et le bon temps dans le « pré carré » français et bien au-delà. En 2020, l’Afrique représentait 25% de la production de pétrole et de gaz de Total. 

Les révélations de cette semaine rappellent les pratiques scandaleuses d’Elf dans les années 90. Même si certains de ses employés ont été reconnus coupables et condamnés à titre individuel,  cela n’a pas pour autant enlevé la responsabilité de la compagnie dans les deals douteux et autres scandales de corruption qui ont été documentés par Alain Deneault dans son ouvrage De quoi Total est-elle la somme? L’auteur cite une longue liste de charges contre le géant pétrolier: vente d’armes, travail forcé,  complicité de crimes, corruption, trafic d’influence, évitement fiscal, coups d’État sanglants et financement de guerres civiles. Mais grâce aux soutiens et complicité tant politique que diplomatique au plus haut niveau dont la multinationale pétrolière a toujours joui, hier comme aujourd’hui, à Paris et au cœur des capitales africaines, elle s’est en toujours tirée la tête haute et étendu son champ d’influence vers de nouveaux territoires. 

Ouganda et Mozambique bientôt dans le club France-Afrique?

Total – avec le soutien de l’Etat français – s’active à lancer un méga-projet pétrolier au cœur de la région des Grands Lacs africains. La production pétrolière ougandaise – dans laquelle Total est un acteur de premier plan- est estimée à 240.000 barils par jour. Cette production sera transportée par un oléoduc appelé le East African Crude Oil Pipeline (EACOP) – chauffé en permanence à 50°C – qui s’entendra sur une distance de 1,445 km à travers l’Ouganda et la Tanzanie. L’ EACOP générera annuellement plus de 34 millions de tonnes de CO2, une quantité de loin supérieure aux émissions combinées des deux pays.

Cet oléoduc ouvrira les écosystèmes critiques dans les régions enclavées d’Afrique de l’Est à l’exploitation commerciale du pétrole et aura des conséquences désastreuses pour les communautés rurales vivant de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. Plus de 100.000 personnes sont touchées par les plans d’expropriation dans l’ouest et le centre de l’Ouganda. Les communautés disent qu’elles n’ont pas été indemnisées de manière satisfaisante et que la grande majorité n’a pas encore reçu d’indemnisation. Les ressources en eau et les zones humides des deux pays sont également confrontées à des risques importants, notamment le bassin du lac Victoria, dont dépendent plus de 40 millions de personnes pour l’eau potable, la production alimentaire et les moyens de subsistance.

Un nouveau rapport publié par les Amis de la Terre France, Survie et l’Observatoire des Multinationales démontre clairement comment Paris facilite le jeu de Total en Ouganda à travers de multiples mécanismes d’influence et soutiens qui ont permis à la multinationale de s’implanter paisiblement en Ouganda. Ainsi donc l’Elysée, le Quai d’Orsay, l’Ambassade et l’alliance françaises de Kampala sont hautement mobilisés pour garantir le soutien de la France aux projets pétroliers de Total en Afrique de l’Est. Même la coopération militaire serait envisagée au cas où il s’avérerait nécessaire s’opposer avec force aux menaces contre les intérêts de Total et de la France au projet. Un scénario qu’il est difficile de ne pas lier avec le Mozambique où le groupe français a dû suspendre son projet de gaz naturel liquéfié de 20 milliards de dollars en raison de la violence et de l’incertitude croissante dans la province de Cabo Delgado.

Pendant ce temps, Total déclare sur son site qu’il est engagé pour l’énergie durable, le bien-être des personnes, l’excellence environnementale et travaille pour générer une prospérité partagée entre les régions du monde. Emmanuel Macron de son côté continue de ‘plaider’ en faveur de la protection de l ‘environnement, l’application de l’Accord de Paris et prétend rompre les vieux liens de la France-Afrique qui ont maintenu la plupart des anciens territoires français sub-sahariens dans le néo-colonialisme. Parallèlement, il apporte un soutien politique et diplomatique fort à l’un des projets pétroliers les plus controversés de notre époque. Une aventure risquée, inconcevable et injustifiable à tous points de vue : droits de l’homme, démocratie, protection du climat et de la biodiversité qui expose l’hypocrisie, le double langage et les mensonges de Macron et de son associé, Patrick Pouyanné.

Que devrions-nous faire?

Aussi puissante que soit l’empire Total, il a besoin de personnes, d’argent et doit protéger sa réputation. C’est là que nous – citoyens concerné.es du monde entier – pouvons démontrer notre pouvoir de faire tomber l’une des multinationales les plus dangereuses et manipulatrices de notre temps. En partageant la vérité sur Total, en boycottant ses stations-service, en exposant ses mensonges flagrants, ses catastrophes et ses tragédies derrière l’EACOP, le Mozambique LNG et l’Arctic LNG en Russie, Total se mettra à trembler. Mieux encore, en veillant à ce que toutes les banques commerciales qui financent Total et ses projets soient au courant des terribles opérations de son client et cessent immédiatement de lui accorder de nouveaux prêts, Total n’aura d’autre choix que de cesser de développer de nouveaux projets d’énergie fossile et d’indemniser les nombreux dommages humains, écologiques et climatiques causés.


Par Landry Ninteretse, Directeur Regional de 350Africa.org